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Alice Suret-Canale : “J’ai envie d’être surprise”

Thaïs Franck 12 février 2021
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Rencontre avec Alice Suret-Canale, artiste parisienne aux grands formats. Elle nous parle ici de ses inspirations, de ses techniques et de son imaginaire. Une invitation à la découverte de son art dans son atelier du Préàvie.

Bonjour Alice, qu’est-ce qui vous a fait découvrir le monde de l’art et comment avez-vous décidé d’en faire votre métier ?

Mon père est peintre et c’est avant tout lui qui m’a initiée à la peinture. Il a forgé ma culture artistique. D’autre part, je viens d’une famille d’artistes dont beaucoup ont épousé une carrière artistique (peintres, photographes, médaillistes, etc). J’ai donc très tôt eu en tête que c’était une voie possible, malgré la précarité qui peut aller de pair avec ce choix de profession. Mais je n’ai pas toujours eu en tête de devenir peintre. Mes études en rendent compte. J’ai commencé par lettres classiques, et me suis spécialisée en traduction de grec ancien jusqu’à la maîtrise. J’ai ensuite fait de la recherche en arts numériques, avec d’abord un master où je me suis spécialisée en animation et en 3D, puis une thèse que j’ai soutenue en 2018. C’est seulement après cette soutenance que je me suis engagée à temps plein dans le métier de peintre, que j’exerçais jusque-là à temps partiel, à côté de mes recherches et des cours que je donnais. Quand j’ai pris cette décision il y a trois ans, je n’avais pas encore d’atelier. L’enjeu pendant un moment fut donc de trouver un véritable lieu de travail qui me permette notamment de faire des grands formats. Cet atelier, j’ai eu la chance de le trouver en mars dernier dans un lieu appelé le Préàvie, une ancienne usine au Pré Saint-Gervais, où je travaille aux côtés d’autres artistes, peintres, plasticiens et artisans.

Pourriez-vous nous expliquer l’importance des corps dans vos œuvres ?

Quand j’ai commencé à faire de la peinture, jeune adulte post-bac, je faisais beaucoup de natures mortes, si ce n’est quasi exclusivement. Ce genre me plaisait beaucoup pour la proximité des objets et de la petite scénographie sur laquelle je travaillais d’après modèle. Des objets stables, dans l’espace et dans le temps, qu’on peut saisir, appréhender. Il y a là une forme de vision rapprochée, intime. Et puis il y avait aussi les références de courants artistiques et de peintres que j’avais en tête. J’étais (et suis toujours) très admirative de la peinture de Cézanne. La figure humaine n’était presque jamais présente. En 2018, j’ai fait une résidence en Corse suivie d’une exposition solo dans laquelle je n’ai présenté que des paysages, peints sur le motif dans la région de l’Alta Rocca. Une fois rentrée dans mon atelier parisien, j’ai eu la sensation que c’était le moment pour moi de passer à autre chose : il fallait que je me confronte pour un temps au moins à la Figure, au corps humain en tant que motif pictural et donc au genre par excellence de l’histoire de l’art, le nu. J’ai été aidée en ce sens par une expérience toute personnelle que je vivais à ce moment-là, puisque j’étais enceinte : la Figure et les corps se sont alors imposés, et ont donné lieu aux deux séries qui ont suivi, celles des Compressions, qui explorent le thème de la gestation en mettant en relation la gestation maternelle, cette expérience charnelle et spirituelle révolutionnaire que j’étais en train de vivre.

Comment l’idée de la série Clichés et Probabilités a-t-elle germé ?

« Clichés et probabilités” est une expression de Gilles Deleuze qu’il emploie à propos de la peinture de Bacon (dans Logique de la Sensation). Il explique que la page blanche ou la toile vierge est un mythe : le peintre ne commence jamais à travailler sur une surface vierge, la surface de la toile est en fait gorgée de motifs et de thèmes préconçus, que l’artiste a dans sa tête, avec lesquels il vit. Alors qu’on a tendance à penser qu’il faut ajouter pour créer une œuvre d’art, il est possible qu’en fait le plus difficile ce soit d’enlever, de se débarrasser de nos clichés, pour forger un travail fort, personnel et original. Il faut aussi considérer que nous sommes des êtres culturels, sociaux, notre imaginaire est travaillé de choses dans l’histoire de la peinture mais aussi dans les médias, la pub, la mode… Donc il faut également se battre contre ces images préconçues.

Comment te lances-tu dans une série ? 

Une série se lance un peu par elle-même. Je vais être inspirée par une idée, un concept, et  je vais me rendre compte qu’il y a quelque chose à fouiller. J’ai l’impression que je pourrais faire dix tableaux avant de toucher la fin de mon inspiration sur ce sujet. En faisant de la recherche, j’ai beaucoup été dans la lecture de théoriciens de l’art et cela nourrit mon travail. Ce thème de “Clichés et Probabilités” par exemple, est vraiment pour moi le cœur des problématiques du métier de peintre, il se décline à l’infini. Avant de poser la première touche de peinture, il y a toute une virtualité du tableau qui existe encore. Une infinité de possibilités coexistent à ce moment-là. Et dès qu’on pose la première touche, on commence en fait à éliminer des possibilités. C’est tout cela qui m’inspirait lorsque j’ai commencé cette série de grands formats que j’ai intitulée d’après cette expression de Deleuze. Quoi de plus cliché que le nu féminin en peinture ? J’ai travaillé à déconstruire mes influences pour en extraire cet ensemble de tableaux de nus, dont les membres s’entrelacent, s’hybrident et se jumellent, en se comprimant les uns dans les autres. Je voulais avant tout laisser la place à la déformation, à l’imaginaire et à l’expression, je ne voulais pas aller vers le réalisme.

Pourriez-vous nous parler du choix des formats de vos œuvres ? Comment les définissez-vous ?

Ce que je préfère, c’est travailler le grand format. Le choix de travailler sur la Figure comme motif principal n’y est pas étranger. Le format 2 mètres de haut, c’est un peu plus grand que la taille d’un corps humain moyen. Cela fait que le tableau me dépasse, me surplombe. Je dois l’affronter, en quelque sorte, au corps à corps. Et le corps représenté, juste un peu plus grand que la taille réelle d’un corps, surplombera aussi par la suite le spectateur qui l’aura face à lui. Il y a également un aspect technique que j’aime bien avec ces grands formats, qui se marie bien avec ma technique de peinture. Lorsqu’on peint sur un tableau de cette taille on n’a pas de vision d’ensemble du tableau. On travaille un peu comme un myope, et on est donc obligé de rester en mouvement pour relier le détail sur lequel on travaille avec l’ensemble de la composition. Il faut faire un mouvement de va-et-vient permanent, de recul et d’avancée.

 

En tant qu’artiste, de quelle manière aimeriez-vous promouvoir votre art ? Par exemple, dans de futurs projets ?

Mon ambition principale actuelle est de présenter ces dernières séries de grands formats au grand public, tout en multipliant les expositions collectives, comme celle à laquelle je viens de participer à Londres, Life on Venus II, The Human avec la galerie The Tub, Hackney et The Auction Collective où j’exposais une huile sur toile, Phosphine Hug. Prochaine expo à venir courant février, toujours avec The Tub, Hackney, Life on Venus III, The Organic, où j’exposerai trois petites huiles sur papier.

Retrouvez Alice Suret-Canale sur sur son compte Instagram.

Propos recueillis par Thaïs Franck

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